Billy Wilder et moi, par Jonathan Coe

23 septembre 2021 par - cinébloginfo

C’est un honneur, en même temps qu’une gageure, de succéder à Bertrand Tavernier, pour tenir ce blog de la SACD. Bertrand avait une immense culture, cinématographique, littéraire et musicale, dans laquelle il puisait sans relâche des motifs d’admiration, parfois d’indignation, aussi, toujours avec ce goût de transmettre dont il avait le secret. Il poussait parfois des « coups de gueule », en cas d’injustice ou de manquement au respect des auteurs, quels qu’ils soient, dès que l’intégrité et l’indépendance du cinéma étaient en danger. Et il avait son œuvre à lui. Il avait aussi le goût, que je partage avec lui, de combattre l’oubli – le pire oubli, pour les auteurs, les artistes, les artisans du cinéma et de l’audiovisuel, c’est bien sûr l’oubli.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai lu cet été et adoré le nouveau roman de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi (Gallimard). Le titre déjà a tout pour nous exciter. De quoi s’agit-il ?

La narratrice se prénomme Calista, d’origine grecque et compositrice de musique. Par un concours de circonstances, ce qu’on appelle les heureux hasards de la vie, Calista, lorsqu’elle avait à peine une vingtaine d’années et qu’elle faisait un voyage d’été aux États-Unis avec une amie anglaise, fit la rencontre de Billy Wilder au cours d’un dîner à Los Angeles. Elle fut prise en sympathie par le réalisateur et son fidèle scénariste, I.A.L. Diamond, surnommé Iz. Wilder lui propose d’assister au tournage de Fedora, dont une partie importante se déroule en Grèce. Fedora est l’avant-dernier film de Wilder. Son dernier, Buddy Buddy, était un remake de L’Emmerdeur de Francis Veber (réalisé en 1981), jamais sorti en salle en France car on disait qu’il s’agissait d’un navet (c’est à vérifier).

Lorsqu’il tourne Fedora, en 1977, Billy Wilder a l’essentiel de sa carrière derrière lui. Le film se tourne à Corfou en Grèce, à Paris et dans les studios de la Bavaria à Munich, car le film est financé par des capitaux allemands. En réalité, le grand Billy Wilder, le réalisateur de Certains l’aiment chaud, Boulevard du Crépuscule, La Garçonnière, Le Gouffre aux chimères, Irma la douce et autres comédies truculentes, n’est plus au sommet de sa carrière, alors âgé d’à peine soixante-dix ans. Les studios américains ne lui font plus confiance, d’autant que la relève est assurée.

Au milieu des années soixante-dix, lorsque se déroule cet étrange dîner au restaurant Le Bistro, à Beverly Hills – dont Billy Wilder est un des propriétaires, décoré dans le pur style de Irma la Douce – tout Hollywood ne parle que du triomphe des Dents de la mer, du jeune Steven Spielberg, sorti à Noël 1975. Ce film n’est vraiment pas la tasse de thé de Wilder, ni de son acolyte Diamond. Eux appartiennent à la vieille école, celle de Lubitsch, le maître de la comédie américaine. Celle aussi des cinéastes venus d’Europe centrale, dans les années trente, qui ont fui le nazisme. Lorsqu’il quitta Berlin, Wilder fit une étape à Paris, où il réalisa son premier film, Mauvaise graine, avec Danielle Darrieux – nous sommes en 1934. Il s’installe ensuite en Californie, pour y connaître une carrière flamboyante. D’abord comme scénariste, toujours associé à Charles Brackett, jusqu’à son premier film tourné en 1942, Uniformes et jupons (The Major and the Minor).

Vers la fin du roman, il y a ce moment très émouvant où l’on apprend – selon Jonathan Coe – que Wilder aurait eu l’intention d’adapter La Liste de Schindler, sujet qui le concerne profondément et de manière intime, familiale. Mais Hollywood préféra confier La Liste de Schindler à Spielberg, qui en fit le chef d’œuvre que l’on sait. Et Billy Wilder fut bouleversé par le film !

Fedora de Billy Wilder (Carlotta Films)

Ce qu’il y a de merveilleux dans le roman de Coe, c’est tout ce qui concerne la relation entre Wilder et Diamond, son scénariste. Ils ont travaillé ensemble sur douze films, toujours collés l’un à l’autre, non seulement durant les longs mois d’écriture, mais également durant les tournages. Un duo étonnant. Les deux hommes passent de longs mois à écrire et à peaufiner l’écriture de scénario, travaillant et retravaillant les gags, le rythme, l’enchaînement burlesque, pour arriver à un résultat qui les satisfait. Durant le tournage, Wilder ne peut se passer de son acolyte, assis juste à côté de lui, comme c’est le cas durant le tournage de Fedora, Diamond se contentant de vérifier que les acteurs et actrices respectent à la lettre le dialogue qu’ils ont conçu au millimètre près. Diamond s’ennuie à ne rien faire, sinon à assister le Maître, aussi la présence de Calista lui procure-t-elle du plaisir.

On comprend mieux, à la lecture du roman, ce qu’il fallait de travail, de minutie et d’exigence pour le duo Wilder-Diamond, pour qu’il conçoive de brillantes comédies au rythme endiablé. Leur relation s’apparente à celle qui prévaut dans le cinéma d’auteur européen, et l’on mesure l’importance du rapport de force entretenu par Wilder, lorsqu’il était au faîte de sa carrière, pour imposer sa conception du cinéma. Hélas, Fedora n’eut pas le succès qu’espérait Wilder, le film fut un échec, accélérant le déclin du cinéaste. Wilder vécut encore de longues années, jusqu’à sa mort survenue en 1995. Durant ses vieux jours, il s’occupa entre autres de sa très belle collection de tableaux, devenu le témoin passif de l’évolution du cinéma en Amérique.

Fedora de Billy Wilder (Carlotta Films)

En plus de raconter une histoire émouvante, enroulée autour d’époques diverses, le roman de Jonathan Coe nous plonge au cœur du cinéma, lorsque l’ancien Hollywood laissa la place à ce qu’on appela le « Nouvel Hollywood » – celui de Spielberg, Scorsese, Friedkin, Lucas, Coppola et Brian de Palma. Mais revenir sur cette époque où Billy Wilder régnait en maître de la comédie américaine fait un bien fou.

Une histoire drôle pour terminer. Vers la fin de sa vie, Billy avait beaucoup de mal à se faire produire. Un jour, il est enfin reçu par le nouveau patron d’un studio. Ce type, jeune, l’accueille cigare au bec et pieds sur la table et lui fait signe de s’asseoir.

– « Alors Monsieur Wilder, racontez-moi ce que vous avez fait. »

Surpris, Wilder le dévisage longuement. Puis lui fait un geste de refus en balançant son doigt tendu et répond : «  You first ! »

 

Billy Wilder et moi de Jonathan Coe, chez Gallimard
Fedora de Billy Wilder, chez Carlotta Films en Blu-ray, DVD et VOD
Photos : © BAVARIA MEDIA GmbH / GERRY FISHER. Tous droits réservés.

 

Commentaires (11)

 

  1. Merci Serge pour ce premier billet éloquent qui nous fait entrer dans le monde de Billy Wilder à travers ce formidable livre. Encouragements sincères pour la prolongation de ce blog initié par Bertrand et qui, j’en suis sûr, continuera de nous apporter son lot de conversations passionnées.

  2. Nous nous en réjouissons, Jonathan Coe lui-même donne sa bénédiction à ce premier billet signé Serge Toubiana. Voici ses mots que nous sommes ravis de partager avec vous :
    “A beautiful article which it gave me great pleasure to read.” https://twitter.com/jonathancoe/status/1442822809282129920
    “The kind of appreciation an author dreams of reading” https://twitter.com/jonathancoe/status/1442823721052516357

    L’équipe du blog

  3. Cedric Gibbons dit :

    Bonjour,

    De mémoire, Billy Wilder est mort en 2002.

    « Wilder vécut encore de longues années, jusqu’à sa mort survenue en 1995. »

  4. Marc Soubeyrand dit :

    Oui, lecture prenante, drôle et émouvante avec notamment une idée superbe de rédiger un passage crucial comme un script de film. Et qui donne envie de revoir la filmographie de Wilder, Lubitsch…

  5. SugarKane dit :

    Bonjour Monsieur Toubiana,
    J’avoue ma déception en lisant votre chronique. Celle de Bertrand Tavernier était beaucoup plus foisonnante et nous surprenait à chaque fois par son éclectisme. Si vous souhaitez fédérer les anciens membres du blog et favoriser les échanges, il va falloir nous proposer plus de sujets.

    • Serge Toubiana dit :

      C’est ma première chronique, et vous êtes déjà déçu. Peut mieux faire, comme disaient souvent nos profs… Laissez-moi prendre le temps de prendre mes marques.

    • MB dit :

      à Sugarkane
      un peu de patience, laissez l’homme se chauffer un peu quand même!

    • Catherine dit :

      à Sucredecanne qui dit:

       » Si vous souhaitez fédérer les anciens membres du blog et favoriser les échanges, il va falloir nous proposer plus de sujets. »

      Holà on se calme, déjà ce n’est pas la même personne qui va nous faire part de ses goûts cinéphiles donc il n’y a aucune raison que celle-ci « imite » B.Tavernier, c’est l’évidence même. De plus depuis quand y a-il un Club des Membres du Blog ?? Depuis que vous en faites parti ?? Ha ha.
      Sachez qu’un tas de gens lisaient sans toujours répondre ou parfois, et que Mr Tavernier leur répondait comme à vous, parce qu’il était généreux. Apparemment, avec la politesse, cela n’est pas votre qualité principale.

      En tout cas, bienvenue Mr Toubiana, et merci de reprendre le fil de ce blog.

      Catherine

      • MB dit :

        à Catherine
        bien d’accord
        et bienvenue à Serge Toubiana qui a répondu bien plus calmement que je ne saurais le faire…

        et pourquoi faudrait-il fédérer les anciens du Dvdblog?

      • SugarKane dit :

        À Catherine
        J’ai fait part de ma déception, car comme tous les lecteurs et contributeurs qui intervenaient dans le précédent blog nous étions habitués à chaque édition de recevoir de la part de Bertrand Tavernier une somme importante de témoignages et de conseils. Sa disparition nous a beaucoup affecté et si Serge Toubiana lui succède, effectivement il est normal et je dirai même nécessaire qu’il fasse évoluer le blog. Beaucoup d’entre-nous espèrent que ce formidable outil perdure et nous permettent toujours d’échanger nos points de vue. Pour autant je renouvelle ma remarque sur le fait qu’il faudra nous proposer nettement plus de sujets que cette unique lecture.

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